Je
suis sortie, cela faisait 3 jours ou 4 peut-être que je ne m'étais
pas lavée moi même. On m'avait tourné dans tous les sens alors que
chaque partie de mon corps me faisait mal, pour les laver. Des
inconnu.e.s, des infirmier.e.s. Et encore, maintenant je pouvais
manger, je pouvais boire de l'eau si je voulais. Je pouvais me lever
et marcher, faire pipi dans des toilettes et non pas dans une sonde installée dans mon urètre ou dans une bassine que tu dois laisser
aux autres de nettoyer. Je pouvais bouger mes bras douloureux mais je
pouvais les bouger et je n'étais plus attachée à rien. Rien de
visible en tout cas.
*
* * * * * *
Quand
je suis sortie de la douche, c'était toujours là. Partout où je
regardais. J'étais chez moi pourtant, c'est mon chez moi, ma safe
place. Mais la peine était là. Elle était en moi, des pieds à la
tête c'était là et j'avais l'impression que ça n'allait jamais
partir.
J'étais
seule à la maison, ma mère m'a appelé et elle a remarqué que je
n'étais pas très bien, probablement à ma façon de parler et de
réagir.
« Tu
veux que je rentre du travail ? »
« Non. »
On
a raccroché. Je savais pourquoi j'avais dit non, et je suis allée
directement à la cuisine. Tout était à sa place, juste là où il
fallait que ça soit. Sauf moi.
J'ai
trouvé quelques vieux cachets de xanax, pas assez mais assez pour
faire taire ma conscience. J'ai trouvé d'autres cachets, en une
seconde j'en avait déjà avalé 25. Tout est allé très vite après,
trop vite. J'ai bu de l'alcool pour faire taire la conscience que je
ne me souviens même plus d'avoir entendu hurler. Le doute qui
pointait tandis que j'avalais tous ces médicaments, partait, partait
loin sans même que je m'en rende compte. Je vidais les plaquettes et
j'avalais par poignées, ça devenait automatique. Je ne me souviens
pas d'avoir pleuré. La douleur n'était plus là. Tous les cachets
par contre, tous ceux qui avaient glissé le long de mon œsophage,
était prêts. Prêts à tuer. C'était leur but, celui que je leur
avait donné. Je me souviens d'avoir ris. Drôle de penser que la
douleur d'être en vie arrête de te bouffer quand tu commences toi
même à manger la mort.
Je
ne sais pas combien de cachets j'ai avalé, on m'a dit plus de 200.
Pourquoi
j'en ai pris autant ? Aucune idée. Peut-être parce que je
voulais que ça soit bien fait ? Parce que je voulais être
sûre ? Parce que mes mouvements étaient tellement mécaniques
que je ne réfléchissait même plus ? J'ai arrêté un moment,
je me souviens m'être installée dans la chambre de ma mère, c'est
une jolie pièce, blanche et lumineuse. Je me souviens m'être
installée sur son lit, encore enroulée dans la serviette de bain,
je ne me souviens pas de comment je me sentais, de ce que j'ai fais
et de rien après ça d'ailleurs. Je ne sais toujours pas par quel
miracle les pompiers ont fini par rentrer chez moi. On m'a dit que
j'avais dit quelque chose à ma petite amie, qui avait compris que
j'étais danger etc etc je ne sais pas. Il paraît que j'ai aussi
laissé une lettre de suicide. Je ne m'en souviens pas. Si personne
n'avait appelé les pompiers, je serai partie tout doucement sans
souffrir sans rien sans souvenirs sans douleur. J'aurais regretté.
Ce
que je dis là dois sembler incroyable, prendre une décision aussi
folle, juste comme ça, parce que ça va pas trop, mais c'est comme
ça que je fonctionne. C'est pour ça que je suis dangereuse envers
moi même. Et beaucoup de suicidaires sont sûrement pareil, je ne
sais pas. Une idée, un pas, un autre, et puis celui qui fait tomber
de haut. Celui qu'on a peur de faire depuis le début mais qui n'est
que la suite des événements. Se sentir bien, se sentir mal, tout
ça, ça rend fou. On en peut plus on veut juste que ça s'arrête.
On veut pas nécessairement mourir avec un grand M, on veut juste que
la peine s'arrête.
Sans
que je m'en rende compte, j'ai repris conscience une seconde quand on
me faisait rouler sur un brancard dans la salle de réa. J'ai vu le
visage de ma mère et je me souviens m'être dit « ouf, i'm not
dead. » apparemment je lui ai parlé et je lui ai dit un truc
sans intérêt par rapport à une clef qu'on avait perdu. J'en ai
aucun souvenir. Je me souviens juste de l'avoir vu, avoir vu le
visage de ma mère et ce sentiment de soulagement. J'avais fait le
pas de trop, celui qui m'a fait tomber de la falaise, mais on m'a
rattrapé par le bout d'un doigt avant que je m'écrase sur les
rochers.
Quand
je me suis réveillée à nouveau, j'avais un tuyau dans la gorge,
des fils à tous les bras et je ne pouvais rien faire « respire »
je ne comprenais pas, comment ça respire ? « Respire »
j'ai respiré. La machine à côté de moi à arrêté de biper. Le
tuyau me faisait mal, je voulais parler je voulais boire de l'eau,
j'ai toussé comme une folle pour l'enlever j'ai essayé de
l'arracher avec mes mains mais j'étais attachée au lit, je pleurais
ça me faisait mal je ne comprenais rien j'étais seule. Je crois que
je me suis rendormie. Ma mère est venue me voir un peu plus tard
j'ai essayé de parler, ça ne faisait que plus mal, je m'énervais
je voulais l'enlever, l'infirmière me disait que tant que je
respirais pas par moi même je devais le garder. J'ai parlé à ma
mère en dessinant des lettres sur la paume de sa main. C'était la
chose la plus rassurante que je pouvais faire jusque là.
On
m'a dit que c'était un miracle que ni mes fonctions physiques ni
mentales n'aient été atteintes.
Je
suis restée 5 jours dans ce service de réanimation, dans ma chambre, un homme apparemment très malade. Je n'ai jamais vu plus que ses
pieds, un paravent nous séparait. Puis vous connaissez la suite,
j'ai commencé à me remettre, on m'a enlevé le tuyau de la bouche,
j'ai vomi et vomi et vomi rien qu'en essayant de boire un peu d'eau,
puis au fur et à mesure mon corps à repris conscience de toutes ses
fonctions, respirer, manger, boire, faire pipi. J'étais sur pied, en
quelque sorte. C'est juste après tout ça, après ces 5 jours qu'on
m'a envoyé à l’hôpital de Clermont, dans l'Oise, service Rhenier
2.
Le
CHI de clermont de l'Oise est une installation immense, on aurait
presque dit un petit village. Je me suis retrouvée dans un service
d'adulte. Quand je suis arrivée on m'a servi un repas, je me sentais
à peu près bien à ce moment là, c'est là que j'ai rencontré
Headen. Il avançait doucement en traînant des pieds, les yeux
plissés, la bave glissant des bords de sa bouche. Il s'est assis en
face de moi
« Sa---lut
moi c'est Headen.........Et toi ? »
« Louve. »
j'ai répondu en souriant. Ça allait encore. Ça allait. On a
discuté un peu, juste un peu, c'était très dur de parler avec lui,
il était arrivé quelques jours avant moi, il avait 20 ans, il avait
fait une tentative de suicide et venait de changer d’hôpital car
l'ancien ne lui convenait pas. Il m'a dit qu'il pensait que son
cerveau n'était pas malade, que ça tombait pas malade un cerveau.
Je lui expliqué que c'était un organe comme les autres, que le cœur
peut tomber malade, que le cerveau le pouvait aussi. Il devait
comprendre un mot sur deux de ce que je disais. Il a fini par partir
en me serrant la main
« ra---vi
de t'avoir rencontré »
Les
infirmiers sont sortis du bureau principal, deux dames se sont
présentées et m'ont mené à ma chambre, j'étais heureuse d'être
seule dans une chambre et non pas avec quelqu'un d'autre. Elles ont
commencé à faire la liste de toutes les choses que j'avais dans mon
sac, le compte de mes fringues, mes sous vêtements, mes stylos, mes
carnets, mes livres, tout était noté, listé. J'ai commencé à
paniquer.
« On
va enfermer tes affaires dans l'armoire à côté de toi, enfermé à
clef et au bout de quelques jours tu y auras de nouveau accès. Pour
le moment tu vas porter ce pyjama. » Et on m'a tendu ces deux
pièces de toile bleue. Les larmes glissaient doucement le long de
mes joues, j'avais peur et je réalisait que vraiment, vraiment
j'étais enfermée, même plus d'identité, même plus rien. Juste
mon visage, mon corps sous ces deux bouts de tissus oversized. Elles
ont quitté la chambre et c'est là que tout à commencé à devenir
noir.
J'ai
remarqué les attaches en cuir pour les bras à mon lit, j'ai
remarqué que l'armoire était la même que celle que j'avais quand
j'étais en internat. J'ai remarqué que j'étais seule. Que j'étais
dans un endroit que je ne connaissais pas, avec des inconnu.e.s avec
des gens malades.
Quelque
chose que j'avais oublié, que tout le monde avait oublié. Je
n'avais pas pris mon traitement depuis des jours. Et comme chaque
personne sous traitement fort, j'ai des symptômes de paranoïa et
des semis hallucinations quand je ne le prends pas régulièrement.
J'ai pleuré pleuré pleuré, toute la panique du monde était dans
mon corps, et en bonne personne malade et suicidaire j'avais déjà
trouvé au moins 5 moyens de mourir dans cette chambre même si elle
contenait le minimum. Je pleurais pleurais. Une infirmière est
venue. Elle a essayé de me parler, je n'entendais pas, j'étais dans
ma propre psychose. On m'a ramenée au bureau principal avec des
affaires et des papiers que j'avais à leur donner. Assis au bureau
il y a avait un jeune homme, j'avais envie de lui balancer ses
papiers à la gueule et aller m'enfermer dans ma chambre en attendant
de pouvoir en sortir pour toujours. Mais il m'a forcé à rester et à
expliquer ce qui se passait. Ce que j'avais.
« J'ai
peur je devrais pas être là. »
« peur
de quoi ? »
« Je
sais pas je devrais pas être là je devrais pas être là sortez moi
de là je veux appeler ma mère. »
« Si
on regarde ce que tu as fait : c'est à dire avaler plus de 200
cachets dans le but de mourir, je pense que si, tu dois être ici.
C'est temporaire. Et tu verras avec la psychiatre demain pour appeler
ta mère. »
J'étais
en colère j'étais en panique. J'avais envie d'hurler de tout casser
de m'enfuir. J'avais aussi très précisément en tête les attaches
en cuir de mon lit. J'étais coincée dans ma psychose et j'y suis
restée plusieurs jours.
La
première nuit fut affreuse, j'entendais des grattements à ma porte,
des hurlements, j'avais peur comme jamais que quelqu'un rentre dans
ma chambre, un inconnu, un fou comme moi, je mourais de peur. Au bout
d'un moment les bruits se sont arrêtés, je suis restée encore une
heure les yeux fixés sur la porte, au cas où. Le lendemain j'ai vu
la psy après avoir refusé mille fois de sortir de ma chambre. Je ne
suis sortie que 3 fois les 2 premiers jours. Pour faire des tests
médicaux, et pour la psy. La docteure était très professionnelle,
je lui ai répété les même choses que je m'étais répété dans ma
tête toute la nuit, j'étais pleine de peur, de colère, de rage.
« J'ai
pas ma place ici je veux sortir
« vous
avez quand même pris--
«Je
sais 200 cachets blablabla j'ai compris je sais c'était mal je veux
plus jamais faire ça je veux juste pas être ici je veux appeler ma
mère je veux sortir d'ici j'ai peur j'ai peur.
« Vous
n'avez pas l'air de vous rendre compte à quel point ce que vous avez
fait est grave.
« Vous
n'avez pas l'air de vous rendre compte à quel point j'ai peur ???
J'ose même pas aller aux toilettes.
« Mais
peur de quoi personne va vous attaquer ici
« j'ai
peur c'est tout » j'ai fondu en larmes en répétant que je
voulais appeler ma maman, que j'étais encore un enfant que je
voulais ma maman.
J'étais
sûre quelle allait arriver en héros signer un papier et me faire
sortir plus vite que quand je suis arrivée.
Mais évidemment ça ne s'est pas passé
comme ça. J'ai pu appeler ma mère un soir, ou, elle m'a appelé
plutôt. Elle allait me laisser là, j'ai hurlé au téléphone j'ai
crié j'ai pleuré. Je ne m'étais jamais sentie aussi abandonnée et
effrayée. J'avais tout misé sur mon héros, sur ma maman, et là je
n'avais aucune solution, plus rien, j'étais terrorisée.
-Louve.
-Louve.