dimanche 21 août 2016

Le vendredi 13 mai j'ai voulu mourir. 2e partie.

Je suis sortie, cela faisait 3 jours ou 4 peut-être que je ne m'étais pas lavée moi même. On m'avait tourné dans tous les sens alors que chaque partie de mon corps me faisait mal, pour les laver. Des inconnu.e.s, des infirmier.e.s. Et encore, maintenant je pouvais manger, je pouvais boire de l'eau si je voulais. Je pouvais me lever et marcher, faire pipi dans des toilettes et non pas dans une sonde installée dans mon urètre ou dans une bassine que tu dois laisser aux autres de nettoyer. Je pouvais bouger mes bras douloureux mais je pouvais les bouger et je n'étais plus attachée à rien. Rien de visible en tout cas.



* * * * * * *



Quand je suis sortie de la douche, c'était toujours là. Partout où je regardais. J'étais chez moi pourtant, c'est mon chez moi, ma safe place. Mais la peine était là. Elle était en moi, des pieds à la tête c'était là et j'avais l'impression que ça n'allait jamais partir.
J'étais seule à la maison, ma mère m'a appelé et elle a remarqué que je n'étais pas très bien, probablement à ma façon de parler et de réagir.
« Tu veux que je rentre du travail ? »
« Non. »

On a raccroché. Je savais pourquoi j'avais dit non, et je suis allée directement à la cuisine. Tout était à sa place, juste là où il fallait que ça soit. Sauf moi.
J'ai trouvé quelques vieux cachets de xanax, pas assez mais assez pour faire taire ma conscience. J'ai trouvé d'autres cachets, en une seconde j'en avait déjà avalé 25. Tout est allé très vite après, trop vite. J'ai bu de l'alcool pour faire taire la conscience que je ne me souviens même plus d'avoir entendu hurler. Le doute qui pointait tandis que j'avalais tous ces médicaments, partait, partait loin sans même que je m'en rende compte. Je vidais les plaquettes et j'avalais par poignées, ça devenait automatique. Je ne me souviens pas d'avoir pleuré. La douleur n'était plus là. Tous les cachets par contre, tous ceux qui avaient glissé le long de mon œsophage, était prêts. Prêts à tuer. C'était leur but, celui que je leur avait donné. Je me souviens d'avoir ris. Drôle de penser que la douleur d'être en vie arrête de te bouffer quand tu commences toi même à manger la mort.
Je ne sais pas combien de cachets j'ai avalé, on m'a dit plus de 200.
Pourquoi j'en ai pris autant ? Aucune idée. Peut-être parce que je voulais que ça soit bien fait ? Parce que je voulais être sûre ? Parce que mes mouvements étaient tellement mécaniques que je ne réfléchissait même plus ? J'ai arrêté un moment, je me souviens m'être installée dans la chambre de ma mère, c'est une jolie pièce, blanche et lumineuse. Je me souviens m'être installée sur son lit, encore enroulée dans la serviette de bain, je ne me souviens pas de comment je me sentais, de ce que j'ai fais et de rien après ça d'ailleurs. Je ne sais toujours pas par quel miracle les pompiers ont fini par rentrer chez moi. On m'a dit que j'avais dit quelque chose à ma petite amie, qui avait compris que j'étais danger etc etc je ne sais pas. Il paraît que j'ai aussi laissé une lettre de suicide. Je ne m'en souviens pas. Si personne n'avait appelé les pompiers, je serai partie tout doucement sans souffrir sans rien sans souvenirs sans douleur. J'aurais regretté.
Ce que je dis là dois sembler incroyable, prendre une décision aussi folle, juste comme ça, parce que ça va pas trop, mais c'est comme ça que je fonctionne. C'est pour ça que je suis dangereuse envers moi même. Et beaucoup de suicidaires sont sûrement pareil, je ne sais pas. Une idée, un pas, un autre, et puis celui qui fait tomber de haut. Celui qu'on a peur de faire depuis le début mais qui n'est que la suite des événements. Se sentir bien, se sentir mal, tout ça, ça rend fou. On en peut plus on veut juste que ça s'arrête. On veut pas nécessairement mourir avec un grand M, on veut juste que la peine s'arrête.
Sans que je m'en rende compte, j'ai repris conscience une seconde quand on me faisait rouler sur un brancard dans la salle de réa. J'ai vu le visage de ma mère et je me souviens m'être dit « ouf, i'm not dead. » apparemment je lui ai parlé et je lui ai dit un truc sans intérêt par rapport à une clef qu'on avait perdu. J'en ai aucun souvenir. Je me souviens juste de l'avoir vu, avoir vu le visage de ma mère et ce sentiment de soulagement. J'avais fait le pas de trop, celui qui m'a fait tomber de la falaise, mais on m'a rattrapé par le bout d'un doigt avant que je m'écrase sur les rochers.
Quand je me suis réveillée à nouveau, j'avais un tuyau dans la gorge, des fils à tous les bras et je ne pouvais rien faire « respire » je ne comprenais pas, comment ça respire ? « Respire » j'ai respiré. La machine à côté de moi à arrêté de biper. Le tuyau me faisait mal, je voulais parler je voulais boire de l'eau, j'ai toussé comme une folle pour l'enlever j'ai essayé de l'arracher avec mes mains mais j'étais attachée au lit, je pleurais ça me faisait mal je ne comprenais rien j'étais seule. Je crois que je me suis rendormie. Ma mère est venue me voir un peu plus tard j'ai essayé de parler, ça ne faisait que plus mal, je m'énervais je voulais l'enlever, l'infirmière me disait que tant que je respirais pas par moi même je devais le garder. J'ai parlé à ma mère en dessinant des lettres sur la paume de sa main. C'était la chose la plus rassurante que je pouvais faire jusque là.
On m'a dit que c'était un miracle que ni mes fonctions physiques ni mentales n'aient été atteintes.
Je suis restée 5 jours dans ce service de réanimation, dans ma chambre, un homme apparemment très malade. Je n'ai jamais vu plus que ses pieds, un paravent nous séparait. Puis vous connaissez la suite, j'ai commencé à me remettre, on m'a enlevé le tuyau de la bouche, j'ai vomi et vomi et vomi rien qu'en essayant de boire un peu d'eau, puis au fur et à mesure mon corps à repris conscience de toutes ses fonctions, respirer, manger, boire, faire pipi. J'étais sur pied, en quelque sorte. C'est juste après tout ça, après ces 5 jours qu'on m'a envoyé à l’hôpital de Clermont, dans l'Oise, service Rhenier 2.

Le CHI de clermont de l'Oise est une installation immense, on aurait presque dit un petit village. Je me suis retrouvée dans un service d'adulte. Quand je suis arrivée on m'a servi un repas, je me sentais à peu près bien à ce moment là, c'est là que j'ai rencontré Headen. Il avançait doucement en traînant des pieds, les yeux plissés, la bave glissant des bords de sa bouche. Il s'est assis en face de moi
« Sa---lut moi c'est Headen.........Et toi ? »
« Louve. » j'ai répondu en souriant. Ça allait encore. Ça allait. On a discuté un peu, juste un peu, c'était très dur de parler avec lui, il était arrivé quelques jours avant moi, il avait 20 ans, il avait fait une tentative de suicide et venait de changer d’hôpital car l'ancien ne lui convenait pas. Il m'a dit qu'il pensait que son cerveau n'était pas malade, que ça tombait pas malade un cerveau. Je lui expliqué que c'était un organe comme les autres, que le cœur peut tomber malade, que le cerveau le pouvait aussi. Il devait comprendre un mot sur deux de ce que je disais. Il a fini par partir en me serrant la main
« ra---vi de t'avoir rencontré »
Les infirmiers sont sortis du bureau principal, deux dames se sont présentées et m'ont mené à ma chambre, j'étais heureuse d'être seule dans une chambre et non pas avec quelqu'un d'autre. Elles ont commencé à faire la liste de toutes les choses que j'avais dans mon sac, le compte de mes fringues, mes sous vêtements, mes stylos, mes carnets, mes livres, tout était noté, listé. J'ai commencé à paniquer.
« On va enfermer tes affaires dans l'armoire à côté de toi, enfermé à clef et au bout de quelques jours tu y auras de nouveau accès. Pour le moment tu vas porter ce pyjama. » Et on m'a tendu ces deux pièces de toile bleue. Les larmes glissaient doucement le long de mes joues, j'avais peur et je réalisait que vraiment, vraiment j'étais enfermée, même plus d'identité, même plus rien. Juste mon visage, mon corps sous ces deux bouts de tissus oversized. Elles ont quitté la chambre et c'est là que tout à commencé à devenir noir.
J'ai remarqué les attaches en cuir pour les bras à mon lit, j'ai remarqué que l'armoire était la même que celle que j'avais quand j'étais en internat. J'ai remarqué que j'étais seule. Que j'étais dans un endroit que je ne connaissais pas, avec des inconnu.e.s avec des gens malades.
Quelque chose que j'avais oublié, que tout le monde avait oublié. Je n'avais pas pris mon traitement depuis des jours. Et comme chaque personne sous traitement fort, j'ai des symptômes de paranoïa et des semis hallucinations quand je ne le prends pas régulièrement. J'ai pleuré pleuré pleuré, toute la panique du monde était dans mon corps, et en bonne personne malade et suicidaire j'avais déjà trouvé au moins 5 moyens de mourir dans cette chambre même si elle contenait le minimum. Je pleurais pleurais. Une infirmière est venue. Elle a essayé de me parler, je n'entendais pas, j'étais dans ma propre psychose. On m'a ramenée au bureau principal avec des affaires et des papiers que j'avais à leur donner. Assis au bureau il y a avait un jeune homme, j'avais envie de lui balancer ses papiers à la gueule et aller m'enfermer dans ma chambre en attendant de pouvoir en sortir pour toujours. Mais il m'a forcé à rester et à expliquer ce qui se passait. Ce que j'avais.
« J'ai peur je devrais pas être là. »
« peur de quoi ? »
« Je sais pas je devrais pas être là je devrais pas être là sortez moi de là je veux appeler ma mère. »
« Si on regarde ce que tu as fait : c'est à dire avaler plus de 200 cachets dans le but de mourir, je pense que si, tu dois être ici. C'est temporaire. Et tu verras avec la psychiatre demain pour appeler ta mère. »

J'étais en colère j'étais en panique. J'avais envie d'hurler de tout casser de m'enfuir. J'avais aussi très précisément en tête les attaches en cuir de mon lit. J'étais coincée dans ma psychose et j'y suis restée plusieurs jours.
La première nuit fut affreuse, j'entendais des grattements à ma porte, des hurlements, j'avais peur comme jamais que quelqu'un rentre dans ma chambre, un inconnu, un fou comme moi, je mourais de peur. Au bout d'un moment les bruits se sont arrêtés, je suis restée encore une heure les yeux fixés sur la porte, au cas où. Le lendemain j'ai vu la psy après avoir refusé mille fois de sortir de ma chambre. Je ne suis sortie que 3 fois les 2 premiers jours. Pour faire des tests médicaux, et pour la psy. La docteure était très professionnelle, je lui ai répété les même choses que je m'étais répété dans ma tête toute la nuit, j'étais pleine de peur, de colère, de rage.
« J'ai pas ma place ici je veux sortir 
« vous avez quand même pris--
«Je sais 200 cachets blablabla j'ai compris je sais c'était mal je veux plus jamais faire ça je veux juste pas être ici je veux appeler ma mère je veux sortir d'ici j'ai peur j'ai peur. 
« Vous n'avez pas l'air de vous rendre compte à quel point ce que vous avez fait est grave. 
« Vous n'avez pas l'air de vous rendre compte à quel point j'ai peur ??? J'ose même pas aller aux toilettes. 
« Mais peur de quoi personne va vous attaquer ici 
« j'ai peur c'est tout » j'ai fondu en larmes en répétant que je voulais appeler ma maman, que j'étais encore un enfant que je voulais ma maman.

J'étais sûre quelle allait arriver en héros signer un papier et me faire sortir plus vite que quand je suis arrivée. 
Mais évidemment ça ne s'est pas passé comme ça. J'ai pu appeler ma mère un soir, ou, elle m'a appelé plutôt. Elle allait me laisser là, j'ai hurlé au téléphone j'ai crié j'ai pleuré. Je ne m'étais jamais sentie aussi abandonnée et effrayée. J'avais tout misé sur mon héros, sur ma maman, et là je n'avais aucune solution, plus rien, j'étais terrorisée. 


-Louve.

3 commentaires:

  1. Louve, je comprends tellement ton geste. Je comprends tellement ce vide sidéral, cette peur irrationnelle. Je comprends tout ce que tu as vécu. Je te jure que la vie est jolie parfois. Des hommes, des femmes qui sont mis sur notre route et qui recèlent en eux un trésor. Il faut que tu essayes de faire confiance en la vie. Il faut que tu essayes de te faire confiance, à toi. Je te souhaite d'aller mieux, de tout mon coeur.

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  2. J'ai vécu EXACTEMENT la même chose que toi en 3ème mais pas pour les mêmes raisons d'arrivée (mais si à ce moment là j'avais des pensées suicidaires ... bref), mais c'etait pour une sorte de dépression et des sortes paranoïa quotidiennes entre mon college et les transports en communs, qui était en faite (je pense car cela me paraît évident maintenant) une phobie scolaire. J'ai aussi connue comme toi si je puisse dire, les "joies de la psychiatrie" (LOL --') et les gens "malades" qui quand je les voyais, je me disais là même chose: "Mais what qu'es que je fous là?! Je n'ai rien à faire là ...!". Puis j'y suis quand même restée 3 semaines (quasi 1 mois) à être dans un "mal être" (là je met des guillemets car je n'imagine même pas la souffrance des autres patient.e.s ...) pas possible, sûrement le pire de ma vie ... (enfin après j'en ai connue des vertes et des pas mûres aussi comme on dit ...). Comme toi je m'étais sentie abandonnée voir rejetée par ma mère à cette époque voir plus largement pour par mon père aussi voir toutes la famille, comme si j'étais mise de côté par la société qui ne voulait pas de moi et que j'étais "juste une erreur" ... J'ai dut avoir des épisodes ou des moments psychotiques, de psychoses, bref, mais je ne sais pas si cela peut s'appliquer à quelqu'un qui n'a pas de "maladie mentale" comme dans le sens commun en mettant les gens de chaque côté d'une barrière que j'ai trouvé totalement folle, malsaine et complètement stupide car en plus il y a tellement de variations dans ce que l'on considère comme "pathologique" présentes chez l'humain et personnes différentes. Depuis cette expérience on m'a collée une étiquette de "psychotique" qui resta toujours mystérieusement floue jusqu'à ce que je rencontre un psychiatre "merveilleux" (bon j'exagère un peu peut être ... il n'as pas non plus toutes les qualités du monde en termes de réassurances LOL)
    qui dira tout d'un coup lors de la première rencontre ou consultation, comme une évidence: "ah non mais toi c'est sûr! tu n'es pas psychotique ou je ne sais quoi ....!!!!" et puis il me parle que je pourrais être surdouée et tout de suite cela me fit sens ... Je fit un test de QI quelques mois plus tard, et oui je suis surdouée, HPI/HPE ou en arborescence ou encore zèbre (c'est comme vous voulez ...). J'en suis aujourd'hui à être considérée ou diagnostiquée comme sure-efficiente neurologiquement par ma psychologue ... c'est plutôt cool comme "point final" non de cette histoire qui commençait mal?! ;) je te fais de gros bisous et te dis vraiment bon courage! biz! PS: MOI AUSSI JE SUIS UNE MEUF TRANS!�� allez la bise avec toute mon affection.

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  3. Lire ceci m'a fait revivre mes années d'internement..
    Je t'espère heureuse, maintenant.

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